Le rêve des élus est de renouer avec la ligne d'antan jusqu'à Porto-Vecchio. Mais la réunion de travail qui s'est tenue hier à Vescovato avec les maires donne la pleine mesure des difficultés pour rallier Folelli depuis Casamozza
Six ans. C'est en gros la durée du trajet en train entre Casamozza et Folelli. Dans l'absolu, ça peut paraître un peu longuet mais concrètement, mener à bon port, ou plutôt à bon quai, le projet de résurrection de la voie ferroviaire en Plaine orientale, c'est un vrai parcours du combattant, plus technique et juridique que politique d'ailleurs.
Hier, le dossier confié au cabinet Systra, était exposé dans le détail à la casa cumuna de Vescovato à l'ensemble des maires concernés, celui du village d'accueil, mais aussi Venzolasca, Monte, Sorbo-Ocagnano, Tagliu-Isulacciu, Castellare et Penta-di-Casinca.
Une gare ancienne de la Casinca qui, comme tant d'autres, s'apprête à retrouver une nouvelle vie...
Plusieurs conseillers exécutifs, le chef (de gare) en tête, et élus territoriaux participent à une réunion de présentation et d'échanges qui, au bout du compte, produit deux enseignements majeurs.
D'abord, le consensus. Tout le monde (ou presque) apprécie le passage du train sur son territoire pour un wagon de bonnes raisons, on gagne du temps, le trajet est plus sûr, on pollue moins avec un trafic routier allégé, et c'est surtout un vecteur de développement pour l'économie locale.
Ensuite, le doute tant le dossier est semé de gros cailloux. Il y en a tant qu'ils pourraient servir de ballast aux futures voies.
Impossible de coller au tracé historique
Hyacinthe Vanni est souriant. Les Chemins de fer qu'il préside affichent une bonne santé financière, et l'affluence des usagers ne cesse de croître, de 700 000 à 1,1 million en cinq ans.
De quoi insuffler une dynamique à ce dossier prioritaire dont la finalité est d'aboutir jusqu'à Porto-Vecchio comme au bon vieux temps. Vanina Borromei évoque "une étape essentielle".
Gilles Simeoni, qui prend le train en marche, rappelle aux maires que le projet est inscrit au Padduc.
"Le train revient au coeur de notre vision stratégique d'aménagement du territoire. C'est le type même de projet qui ne peut réussir que si nous le faisons ensemble, et c'est cette philosophie-là que nous souhaitons promouvoir pour les chantiers structurants."
En géométrie variable...
- Longueur de l'itinéraire : 10.390 mètres suivant le tracé historique, quelques kilomètres de plus en fonction des variantes retenues.
- Estimation du coût : de 42 millions (32 millions de travaux et 10 millions de foncier) à 48 millions selon les itinéraires définitifs.
- Durée des travaux : six ans environs.
L'investissement sera supérieur à 42 millions d'euros.
A la casa cumuna de Vescovato, les élus de la majorité, les maires et les techniciens ont étudié à la loupe le projet de renaissance ferroviaire entre Casamozza et Folelli en attendant de voir plus loin encore sur la Plaine orientale
PHOTOS JACQUES PAOLI
"Il est finançable mais il n'est pas financé, et nous devrons faire des choix budgétaires", conclut le président d'une collectivité de Corse qui n'a plus les moyens de mener grand train. Il espère que le dossier sera éligible dans le futur plan post-PEI.
Sur le papier, l'itinéraire s'étire sur à peine plus de dix kilomètres, la distance du tracé historique avant le démantèlement de la voie en 1953.
Seulement voilà. Depuis, les communes se sont développées, des maisons et des entreprises ont jailli de terre, et des routes ont été construites. Repartir sur la seule base du tracé initial est impossible, à de rares endroits près.
Pourtant, pour enjamber les cours d'eau, mieux vaut s'y tenir pour ne pas se heurter aux nouvelles réglementations plus draconiennes et donc quasi insurmontables.
Et puis, le gros challenge du projet, c'est justement que les nouvelles gares jalonnent les communes traversées au plus près de leur centre pour faciliter l'accès de la population et envisager d'attirer du monde et des activités.
Le mode "tram-train" sera privilégié
En théorie, les techniciens du projet, Benoît Montini, directeur du transport de la collectivité de Corse le premier, misent sur le tracé le plus court et le plus direct possible. Les maires eux-mêmes sont parfaitement conscients de l'enjeu et, dans l'ensemble, ils sont plutôt de bonne composition.
À commencer par Yannick Castelli, le maire de Penta, qui, à l'instar de Marie-Thérèse Mariotti, maire de Taglio, préfère clairement le train au projet de nouvelle route.
Folelli (3 300 habitants aujourd'hui contre 30 à l'époque où passait le train), siège de la gare d'arrivée en attendant d'aller plus loin, est appelée à devenir une ville stratégique pour toute la région, la Casinca, la Costa Verde et la Castagniccia.
Chaque maire s'est vu proposer une variante au tracé historique. Plus on s'approche des secteurs urbanisés, plus c'est utile et profitable mais aussi plus compliqué et plus cher.
C'est à ce stade qu'on a évoqué le parc roulant avec l'acquisition du "tram-train", un train qui peut rouler à bonne allure en rase campagne et peut ralentir en traversant le coeur des communes avec le moins de nuisances possibles.
Suivre le tracé historique ne sera pas une sinécure, ce ne sera possible que dans de rares endroits, les autres ont été largement urbanisés depuis le démantèlement de la voie il y a 65 ans...
Mais les échanges donnent la pleine mesure des problèmes techniques et juridiques à surmonter : ne pas trop s'approcher des habitations, déplacer les réseaux, intégrer le projet aux documents d'urbanisme en cours d'élaboration ou de révision, envisager quelques expropriations, mais aussi prendre en considération les garde-fous multiples et variés, les espaces agricoles à préserver, très importantes sur le parcours, la loi Littoral, les zones inondables, etc.
On a même ressenti chez certains, comme à Castellare-di-Casinca, une certaine frustration à voir autant de freins à la construction même si le train n'y est pas pour grand-chose.
De Casamozza à Folelli, c'est un travail de titan qui reste à accomplir.
"C'est un projet qui vient de loin", dit Gilles Simeoni.
Il se fera, mais il n'est pas près d'arriver. Même si tout le monde est d'accord pour se magner le train.
Pour mémoire...
La ligne de chemin de fer de la Plaine orientale a été ouverte en 1888 sur son premier tronçon, entre Bastia et Ghisonaccia.
Elle est prolongée jusqu'à Porto-Vecchio en 1935.
Sur ces 152 km, on a construit plusieurs ponts, de pierre ou de métal, et même un tunnel de 500 m.
En septembre 1943, la retraite des troupes allemandes est destructrice pour les rails et pour les ponts, dix-huit ont sauté.
En 1958, une grande partie du patrimoine immobilier, notamment les maisons des gardes-barrières, est mise en vente.
La réouverture de la voie ferrée de la Plaine orientale est devenue un projet de science-fiction.
En 1982, sous la mandature Giacobbi, on acte le principe d'actionner des études.
L'actuelle majorité rêve d'aller jusqu'à Porto-Vecchio, mais il faut déjà songer à arriver à Folelli en 2024.
Source : Corse Matin